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A R C H I V E S

une vie, un travail, une passion...

François Truffaut

Mon ami François par Georges Delerue

François Truffaut était un homme exceptionnel, un être chaleureux, d’une grande pudeur, très timide et à la sensibilité exacerbée, qui pouvait parfois surprendre mais ce qu’il exprimait était toujours profondément pensé et ressenti. Il était très aimé parmi les professionnels du cinéma et pour moi qui avais beaucoup d’affection pour lui, ce fut un choc terrible d’apprendre qu’il était malade. Lorsque je suis arrivé aux Etats-Unis, j’ai eu la surprise de voir que j’étais très connu grâce aux films de François. Tout le monde connaissait Jules et Jim et Tirez sur le Pianiste. Quant à La Nuit Américaine, elle y a remporté un triomphe. Ses films ont été analysés, disséqués par des jeunes cinéastes dans les grandes écoles. En étudiant ses films, ils ont en même temps découvert les musiques que j’avais composées pour eux.

La Nuit Américaine est peut-être le film de François qui m’a le plus ému. Cet hymne d’amour au cinéma lui ressemblait tellement, c’était toute sa vie, sa passion. La scène où tout le monde se sépare après la fin du tournage est si vraie ! L’émotion de cette famille du spectacle qui va s’éparpiller m’a toujours bouleversé. Si François l’a tournée ainsi c’est qu’il devait être, lui aussi, ému et triste à la fin de chaque film. J’ai perdu un ami que j’aimais beaucoup, quelqu’un qui m’a beaucoup appris. Et je n’arrive pas à croire que je ne me trouverai plus jamais avec lui dans une salle de montage, que je ne l’entendrai plus jamais dire : « Maintenant c’est la récréation, on va parler de la musique.

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Le cinéma de François Truffaut

« Pour moi, la musique de film, c’est comme une question de grammaire. Si l’on accepte de comparer un film à un roman, je mets de la musique sur mes images quand nous passons du présent à l’imparfait »..

Voilà comment François Truffaut explicitait, en raccourci, son approche de la musique au cinéma. Une approche confirmée par un long parcours partagé avec Georges Delerue, élevé par ses soins au rang de « compositeur le plus cinéphile ». Et pourtant, le rapport de Truffaut à Delerue semble bâti sur un étrange paradoxe, une forme de constance dans l’inconstance, une fidélité troublée d’absences à répétition. S’il s’enthousiasme inconditionnellement pour les travaux de son compositeur fétiche, le cinéaste s’en va toutefois explorer d’autres collaborations (Bernard Herrmann, Antoine Duhamel, Maurice Jaubert à titre posthume) mais pour toujours mieux revenir au bercail. Une politique d’alternances que Truffaut pratique également avec ses chefs-opérateurs (Coutard, Clerval, Almendros, Glenn).

Curieusement, la singularité de la relation Truffaut/Delerue réside sans doute dans ses éclipses, dont le binôme ressort d’autant consolidé. A l’arrivée, cette continuité discontinue s’organise en trois cycles, courant sur vingt-trois ans et onze films.

Le compositeur rencontre Truffaut sur Tirez sur le pianiste et le quittera sur Vivement dimanche ! Deuxième long-métrage, ultime long-métrage. Comme si la musique de Delerue délimitait quasiment les contours de l’œuvre, comme si elle l’encadrait.

En remplacement de sa famille biologique, Truffaut s’est fabriqué une autre famille, une famille de cinéma, au sein de laquelle Georges Delerue apparaît comme un frère compositeur. Leur dénominateur commun, c’est une opiniâtreté à prendre en main son destin, à larguer les amarres avec son milieu social, avec la grisaille de l’enfance. Dès l’âge de dix-sept ans, Delerue se réalise complètement dans l’apprentissage de l’écriture, comme pour s’affranchir d’une condition modeste. « Si la musique n’était pas entrée dans ma vie, confiait-il, je serais aujourd’hui ouvrier. Le Conservatoire de Roubaix est vite devenu un rêve, une évasion, le moyen d’avoir une vie très intense. »

Le cinéma et les livres ont le même statut de refuge pour Truffaut, adolescent révolté contre un environnement familial hostile. S’évader, s’émanciper, se grandir par son art… Truffaut et Delerue étaient faits pour travailler ensemble. Rien de leurs origines respectives ne pouvait laisser présager que ces enfants de Roubaix et de la place Clichy s’imposeraient un jour parmi les créateurs français les plus célèbres au monde.

Au fil des films, Georges Delerue voyage à travers les différents genres convoqués par Truffaut : adaptations de séries noires, récits de passions amoureuses, aventures sentimentales d’Antoine Doinel, explorations des coulisses du spectacle. Musicalement, Truffaut est porté sur la fantaisie de Charles Trenet, le baroque ou les partitions de l’âge d’or hollywoodien. « De manière générale, François était passionné de musique de film, soulignait Delerue. Il possédait une collection assez importante de disques sur la grande époque de la MGM, avec ses musiques qui n’en finissent pas de finir. » [in Georges Delerue, une vie, par Frédéric Gimello-Mesplomb (Ed. Jean Curutchet, 1998)]

Très vite, Delerue cerne les goûts du cinéaste, mesure jusqu’où il peut s’aventurer. Chez Truffaut, il ne poussera jamais jusqu’à la modernité radicale de L’Insoumis ou Police Python 357. Contrairement à son confrère Antoine Duhamel qui, avec la provocante partition de Domicile conjugal, précipitera sa rupture avec le metteur en scène. Delerue versant Truffaut, c’est une écriture claire et fluide, d’un romantisme maîtrisé, exprimant l’intensité des sentiments, leur complexité, la douleur aussi qu’ils peuvent provoquer.

On y retrouve des grandes valses « à la Delerue », allègres et embuées de nostalgie (L’Amour à vingt ans, final du Dernier métro, Valse de François T.), des thèmes d’amour au lyrisme fragile, pour flûte soliste sur tapis de cordes (Tirez sur le pianiste, La Peau douce, L’Amour en fuite), une légèreté ironique lorgnant vers le second degré (Une belle fille comme moi, Vivement dimanche !), sans négliger des injections de noirceur, de tension ou d’inquiétude liées à l’Occupation (Le Dernier métro), à la culpabilité (La Peau douce), aux ravages de la passion (La Femme d’à-côté).

Pour Les Deux Anglaises et le continent, le compositeur porte à la perfection une formule orchestrale unique, ébauchée dans Mona, l’étoile sans nom d’Henri Colpi : sur un two-englishtempo lent, le timbre d’une cithare en lévitation déplie une mélodie pleine de grâce, sur des nappes se gonflant comme des voiles. Cette Petite île, pur concentré de poésie, est l’un des thèmes les plus émouvants nés des images de Truffaut. D’ailleurs, dans une séquence du même film, le cinéaste bouscule le traitement sonore initialement envisagé. Sur un quai, Claude (Jean-Pierre Léaud) attend Muriel (Stacey Tendeter) qui va descendre d’un bateau.

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Le soleil faisait des vagues de lumière sur la coque, racontait le chef-opérateur Nestor Almendros. J’ai dit à François : « Ca serait beau de les faire se rencontrer devant ces vibrations de lumière ! » (…) Il m’a dit : « Quand on a une image avec Nuitamericaine2une telle lumière, ça équivaut à une ligne de dialogue ! » On a tourné et ensuite, au montage, il a éliminé le dialogue, il a mis uniquement la musique de Delerue. C’était comme si la passion, la vibration intérieure étaient projetées dans l’image… » [in François Truffaut, par Antoine de Baecque et Serge Toubiana (Ed. Gallimard, 1997)] Une preuve, entre mille, que Truffaut s’intéressait à la forme, qu’il savait conjuguer musique et photographie, surtout pour exprimer ce dont les mots ne sont plus capables.

Si chez Truffaut Delerue laisse prudemment au vestiaire l’agressivité de son inspiration moderne, il tourne aussi le dos à ses éclatants pastiches de musiques de cour, par ailleurs marque de fabrique de sa collaboration avec Philippe de Broca. Ni dissonances au vitriol, ni son et lumière façon Chambord. La grande exception, car il y en a une, c’est évidemment La Nuit américaine avec son choral pour trompettes baroques et orchestre, sublimant la fusion des gens de cinéma dans l’accomplissement de leur discipline. « Mon problème, c’était le thème général, se souvenait Georges Delerue.

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François avait fait sentir la magie du cinéma et je devinais son amour pour cet art. Subitement, l’idée est venue : le grandiose, l’intemporel, le style grand choral ! A la façon dont Bach aurait écrit à la gloire de Dieu, il fallait ici écrire à la gloire du cinéma ! » [in Georges Delerue, une vie, par Frédéric Gimello-Mesplomb (Ed. Jean Curutchet, 1998)] D’où un savoureux contraste entre les vigoureuses envolées mi-Vivaldi, mi-Telemann et l’action du film, résolument contemporaine. Copieusement repris (concerts, indicatifs, publicités), le Grand choral s’impose comme l’emblème musical du cinéma selon Truffaut… alors même qu’il n’est en rien représentatif de l’esthétique habituelle du compositeur pour le cinéaste. Et pourtant, en écrivant classique, Georges Delerue a signé l’un de ses classiques.

Un an près la disparition du metteur en scène, Delerue, installé à Los Angeles, écrira : « Le jour de sa mort, de nombreux Américains, certains inconnus, m’ont téléphoné pour me dire leur tristesse. Je n’arrive toujours pas à croire que je ne me trouverai plus jamais avec lui en salle de montage, que je n’entendrai plus jamais cette phrase qu’il disait à chaque film : « Maintenant, c’est la récréation, on va parler de la musique… » [in Le Roman de François Truffaut (Ed. de l’Etoile, 1985)] Truffaut, de son côté, avait déclaré : « A partir du moment où Hitchcock utilise Herrmann, il y a quelque chose d’intensifié dans son cinéma. » On pourrait aisément le paraphraser : le jour où la musique de Georges Delerue s’est glissée sur les images de Truffaut, son cinéma a gagné en densité, a monté d’un cran sur l’échelle des sentiments.

Stéphane Lerouge

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