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A R C H I V E S

une vie, un travail, une passion...

Une renommée internationale

Une longue plainte à l’harmonica et c’est tout l’Ouest américain qui déploie ses perspectives à l‘infini. Par quelques mesures, personne mieux qu’Ennio Morricone n’a su renouveler avec autant de brio un genre, le western, jusqu’à en incarner définitivement l’esprit plus radicalement même que les cavalcades musicales des sept mercenaires d’Elmer Bernstein. Peu de compositeurs sont ainsi une sorte de référence incontournable dans un domaine. Celui de prédilection de Bernard Hermann est sans conteste le film d’atmosphère où le fantastique n’est jamais très loin. Avec les Ondes Martenot entendues dans Le jour ou la terre s’arrêta (1951), le compositeur allait donner un son à la SF qui a encore des échos de nos jours, comme dans Mars Attacks! bel hommage de Danny Elfman à l’un de ses inspirateurs.

Un autre maître en la personne de Miklos Rozsa saura apporter couleurs et panache aux films historiques à grand spectacle et plus particulièrement aux péplums de prestige Ben-Hur (1959), La reine vierge (1961) Diane (1959). Il ne fut pas le seul, bien sûr, et certaines grandes épopées hollywoodiennes resteront mémorables comme L’extase et l’agonie, Spartacus et Cléopâtre d’Alex North, Le Seigneur de la guerre de Jérôme Moross, ou Roméo et Juliette de Nino Rota. Ce dernier se distinguant des autres par l’emploi d’instruments d’époque, rompant avec le déploiement orchestral de ses homologues américains.

En Grande-Bretagne, John Barry maintient une écriture symphonique classique pour La vallée perdue (1970) ou Mary Queen of Scots (1976) mais avait su se démarquer en 1968 avec Un Lion en hiver dont les inspirations religieuses lui valurent un Oscar.


En 1988, c’est à dire deux décennies plus tard…


La France se prépare à un grand événement historique de portée internationale ; la population est invitée à se rassembler autour des commémorations du bicentenaire de La Révolution Française. La Gaumont et le producteur Alexandre Mnouchkine préparent une grande fresque en deux volets autour des évènements de 1789. Robert Enrico est derrière la caméra du premier Les années lumière, le second Les années terribles sera assuré par Richard T. Heffron. Se souvenant notamment du succès critique et artistique de sa partition pour Cartouche de Philippe de Broca, alors même que les producteurs de l’époque ne le souhaitaient pas, le choix d’Alexandre Mnouchkine pour George Delerue paraît évident. Cependant, certains auraient pu craindre une redondance avec Chouans de De Broca, nouveau coup de maître du compositeur pour un film dont l’action se situe aux mêmes époques.

Mais c’est tout le talent du musicien que de savoir se renouveler, nous offrant la plus longue partition pour le grand écran de sa carrière et, de l’avis de certains critiques, une de ses meilleures. On peut cependant remonter bien plus loin pour apprécier la veine historique du travail de Georges Delerue en illustration de cette période de notre histoire. En effet, nedanton travaillant pas encore pour le cinéma ou pour une télévision balbutiante, le musicien récoltait déjà ses premiers lauriers en 1948 au Festival d’Avignon pour La Mort de Danton. « Monsieur Delerue, vous êtes fait pour le spectacle » lui dit un jour son professeur Darius Milhaud, initiateur de sa rencontre avec Jean Vilar, directeur du tout nouveau Festival d’Avignon qu’il venait de créer l’année précédente. Force est de constater maintenant que cette intuition se révéla particulièrement pertinente.

L’influence du mentor sur son élève ne s’arrête pas là. On se souvient que le jeune Georges, alors ouvrier dans l’usine de son oncle, n’avait jamais imaginé faire une carrière de musicien avant qu’un accident ne le cloue au lit ; cette immobilité forcée l’avait alors amené à une réflexion introspective d’où en sortirai la conviction que sa destinée était de vivre de la musique et pour la musique. Une tâche immense cependant se présente à lui, celle de devoir combler le retard d’une culture artistique et musicale qui lui fait alors défaut. Les conseils de lecture et d’écoute du maître se révèlent capitaux et grâce à une énorme capacité de travail, dont il ne se départira d’ailleurs jamais, et armé d’un enthousiasme à toute épreuve, le jeune Roubaisien devient un homme cultivé, « un véritable homme de la Renaissance » lui dira plus tard le producteur Carter de Haven sur le tournage de Promenade avec l’amour et la mort. La curiosité puis l’amour de la musique baroque et des instruments anciens lui vient de cette glorieuse aventure du TNP qui se serait sans doute prolongée longtemps encore si Georges Delerue ne s’était vu contraint de décliner l’offre de Jean Vilar à la poursuivre. En effet, fidèle en amitié, il répond favorablement aux invitations de son ami Raymond Hermantier, directeur du Festival de Nîmes.

Maurice Jarre prend la relève, mais en matière de musique ancienne, le compositeur lyonnais ne possède pas la science de son prédécesseur et opte pour une approche résolument moderniste. Georges Delerue poursuit dans les arènes de Nîmes qui offrent le site idéal, le grand spectacle historique pour la pièce de Jean-François Noël Les princes de sang (1951), évocation des luttes entre Richelieu et le Duc de Montmorency. Belle occasion pour le musicien de nous offrir de superbes pavanes et autres danses de cours. Suivra Mary Stuart (1952) de Frédéric Schiller pour ce même festival; l’oeuvre comptera 100 représentations. La même année, nouvelle et importante étape dans la carrière du compositeur avec une rencontre qui marquera le début d’une autre belle amitié, celle avec Boris Vian.Tap. jpg Celui-ci voit chez Georges Delerue le complice parfait pour sa pièce Le chevalier de neige (1954), adaptée des romans de la Table Ronde. D’abord montée sous une forme théâtrale en 1954 pour des raisons budgétaires, elle se transformera en 1957 en Opéra (forme souhaitée dès le début par Boris Vian) grâce à l’indéfectible enthousiasme du musicien qui en fait un projet personnel. Cette création tend à se rapprocher du « spectacle total » avec projection cinématographique et effets spéciaux de tous ordres, Boris Vian allant même jusqu’à engager un prestidigitateur pour créer des effets scéniques spectaculaires. Il n’y a selon lui « qu’à l’opéra que l’on peut décoller ».

De son côté, Georges Delerue développe une nouvelle fois son sens du spectacle à travers une partition riche, complexe et d’une tonalité résolument moderne. Cette production du grand théâtre de Nancy comprend 3 actes et 28 tableaux pour une durée de quatre heures. Après Les chevaliers de la table ronde, le compositeur s’attelle à une autre oeuvre en costumes médiévaux, réputée immontable, La tragédie des Albigeois, toujours pour Raymond Hermantier, grand spectacle de 3 heures, qui sera donné également dans les arènes de Nîmes. Les moyens sont là et pas moins de 120 musiciens dont plusieurs organistes et joueurs d’instruments traditionnels occitans viendront accompagner l’épisode tragique de la fin des Cathares. Ce sens de l’écriture baroque que possède Georges Delerue s’arrêtera au début de sa carrière de musicien de cinéma. Emmenée par la Nouvelle Vague, son inspiration fertile s’orientera vers un romantisme adapté à ce renouveau cinématographique, mettant provisoirement en retrait sa créativité liée à la musique des XVI et XVIIème siècles. Cependant, dès 1966, Le Roi de cœur, fable poétique de Philippe de Broca permet à Georges Delerue, avec ses menuets et pavanes, de renouer avec le style d’une époque qu’il affectionne. Cette facette du musicien sera bien vite remarquée et exploitée par des réalisateurs comme Fred Zinneman, Charles Jarrott et John Huston pour leur film à costumes respectif Un homme pour l’éternité (1966), Anne des mille jours (qui reçois en 1970 une nomination à l’Oscar de la meilleure musique d’un film) et enfin Promenade avec l’amour et la mort (1969). Le talent du maestro ne réside pas dans l’utilisation d’une musique pastiche mais bien dans un langage musical réinventé pour l’occasion.


Retour à l’époque de … a man for all seasons


Au début de l’année 1966, la BBC diffuse sur une de ses chaînes Ne tirez pas sur le compositeur, documentaire inédit de Ken Russell en hommage à Gorges Delerue, avec le compositeur dans le rôle principal. Fred Zinnemann reçoit alors un appel d’ un de ses collaborateurs, « Fred, regarde la télévision, elle diffuse un portrait d’un musicien français très intéressant. » Le lendemain Delerue fut invité à rencontrer le metteur en scène qui lui confie sur le champ la musique de son film « Un Homme pour l’ Éternité », bien qu’en Angleterre, à cette époque, le musicien ne soit pas encore connu. Pour ce film sorti en 1966 et récompensé de 6 Oscars, Georges Delerue a écrit une partition inspirée des musiques du Moyen-Âge et de la Renaissance (le film se déroule en 1529, à la cour du roi Henry VIII). Le thème du générique début évoque parfaitement l’univers du film de Fred Zinnemann en mélangeant à la fois tradition et modernité. Delerue utilise principalement une formation instrumentale à base de flute à bec, luth, clavecin et d’un ensemble de violes typiques des musiques de la Renaissance. La mélodie principale est construite sur une série d’intervalles de quinte à vide plus typique de la musique médiévale traditionnelle, tandis que l’écriture des violes s’oriente davantage vers les Ricercari de la Renaissance (on pense par exemple à certaines pièces pour viole du musicien espagnol Diego Ortiz, ou à celles, plus tardives, de John Dowland ou William Byrd). La mélodie est entrecoupée à quelques reprises de ponctuations de cuivres et percussions qui renforcent l’impression de grandeur de la cour royale d’Angleterre. Mélangeant ainsi adroitement harmonies médiévales, écriture de la Renaissance (voire quasi baroque, avec l’emploi d’une basse continue au clavecin), Delerue livre un thème extrêmement adroit pour le générique début de Un homme pour l’éternité.


Fred Zinnemann raconte…


« Pendant les sessions d’enregistrements à Londres, lorsque j’entendis le générique début, je ne fus pas satisfait. Avec embarras, je m’avançais vers Georges. Après un long silence, il me dit : Faisons la pause tout de suite, que tout le monde sorte du studio, donnez-moi 20 minutes pour trouver autre chose. Si je n’ai rien trouvé, il faudra envisager une session supplémentaire demain. Une demi-heure après, on enregistrait le nouveau générique qui comblait mes attentes. Il est exceptionnel qu ‘un compositeur soit capable d’une telle prouesse… » En 1969, pour le film britannique Anne des mille jours réalisé par Charles Jarrott , Georges Delerue composa à nouveau une partition orchestrale de style médiévale en utilisant un orchestre oscillant entre cuivres solennels, cuivres lyriques et bois intimes. Pour l’anecodte, Anne des mille jours se déroule, comme Un homme pour l’eternité à l’époque du règne d’Henry VIII à la cour d’Angleterre.

Le film de Charles Jarrott s’intéresse quand à lui à l’histoire des soeurs Boleyn, histoire agitée et explosive sur fond d’adultère, d’inceste et de trahison. La musique d’ouverture composée par Georges Delerue reprend les grandes lignes de ses musiques Renaissance : une grande fanfare royale pour la cour d’Henry VIII à base d’un ensemble de cornets et trombones sur fond de tambours, typique des musiques royales de l’époque, les cordes, plus modernes apportent ensuite une chaleur typique du musicien français qui contraste avec la solennité des fanfares royales. La partie centrale de l’ouverture dévoile un second thème, plus lyrique et intime, confié à un hautbois mélancolique sur fond de cordes et harpe, dans un style plus classique et moderne, et aussi plus proche du Golden Age hollywoodien. Les cordes cèdent ensuite la place à une flûte délicate toujours accompagnée d’harmonies chaleureuses de cordes et d’arpèges de harpe, avant d’enchaîner une dernière fois sur la fanfare royale.

La même année, pour le film Promenade avec l’amour et la mort réalisé par John Huston, Georges Delerue prolongea son exploration des musiques médiévales. Dans ce film adapté de l’oeuvre d’Hans Koningsberger, John Huston nous plonge dans la France de 1358, en pleine Guerre de Cent Ans, durant la période anarchique des jacqueries. Dans la séquence du retour vers Dammartin, Georges Delerue signe une pièce d’inspiration médiévale typique des musiques profanes/instrumentales des troubadours français du XIIIème et XIVème siècles, musiques que l’on entendait régulièrement au Moyen-âge dans le sud de la France (et leur équivalent, les trouvères, dans le nord). Il utilise en plus des cordes classiques, un ensemble de bois réunissant flûtes à bec, cor anglais, un hautbois baryton, instrument du XIIe siècle, souvent utilisé en consorts à la Renaissance et un tambour, un ensemble qui n’est pas sans rappeler certaines estampies du XIIèmr siècle. La partie centrale de « Return to Dammartin » emploie de façon plus classique les harmonies élégantes et mélancoliques des cordes, de la harpe avec une flûte à bec soliste lyrique et apaisée. « Dans le film dont certains éléments devaient être dramatisés, j’ai choisi d’utiliser deux orchestres, d’une part, un concerto d’instruments anciens, d’autre part une masse symphonique à laquelle j’avais recours ça et là, sans trop m’écarter du langage de l’époque, de sorte que la différence ne concernait que les timbres; la partition finale résultait d’une symbiose entre les les instruments anciens qui s’intégraient au film comme un décor et les instruments modernes, chargés eux d’une fonction plus psychologique. » ( Entretien avec G. Delerue – revue Cinématographe – NOV. 1980).

Il y a bien un style Delerue qui s’exprime avec une grande habileté dans le croisement d’instruments anciens et contemporains. A ce titre, Promenade avec l’amour et la mort marque une forme d’aboutissement dans ce langage médiévale. 1973, en France, Georges Delerue se voit confier la musique d’une saga historique en 6 épisodes, conçue et réalisée par Claude Barma Les rois maudits avec Jean Piat, Louis Seigner et Georges Marchal. Série télévisée phare des années 70 qu’immortalisa à sa façon Georges Delerue, par une composition de caractère. Parfaitement rythmée et ancrée dans l’époque, la mélodie aux accents graves est dominée principalement par les cordes massives et les flûtes à bec qui lui confèrent son caractère royal et puissant. Un générique qui marquera cette décade et une musique qui illustra parfaitement le règne de Philippe Le Bel et les terribles tensions de son époque.

Il faudra ensuite attendre neuf ans avant de retrouver enfin le nom de Georges Delerue au générique d’une mini série télévisée britanico-italienne The Borgias de Brian Farnham, produite par la BBC en 1981. Le musicien composa une grande partition symphonique utilisant des instruments de la Renaissance et du Baroque. Le thème principal de la série s’apparente à une fanfare typique des musiques royales de la Renaissance, avec ses appels de trompettes en quintes à vide qui rappellent quelque peu le travail du compositeur sur le film Un homme pour l’eternité en 1966. Delerue emploie un ensemble de cuivres trompettes et trombones avec quelques cordes discrètes, des timbales et une utilisation très réussie d’une flûte à bec sur fond d’arpèges de luth, plus proches quand à eux de la musique baroque. Le thème intimiste et lyrique de la flûte à bec contrebalance d’ailleurs adroitement le caractère massif et solennel de la fanfare cuivrée des Borgias. Impossible, dès lors que l’on écoute le générique début des Borgias , de ne pas se souvenir de l’univers si particulier de cette célèbre famille de papes italiens corrompus et malfaisants, qui sévirent dans l’Italie du XVe siècle. En 1982, Georges Delerue retrouve une nouvelle fois l’Histoire de France. Sous l’impulsion de Philippe de Villiers, élu vendéen, se monte le son et lumière du Puy du Fou, grâce au dévouement de nombreux bénévoles qui oeuvrent depuis 1978.

Médiéval, Renaissance, Baroque, on retrouve parfois en filigrane la trace de cette emprunt dans les musiques que Georges Delerue écrivit pour des films aussi dissemblables qu’Interlude, Le Roi de coeur, Plein feux sur Stanislas ou même Curly Sue et Man Trouble sans oublier le radieux générique de Radioscopie, le ballet Les 3 Mousquetaires et les oeuvres plus contemporaines Vitrail ou Fanfares pour tous les Temps. Exercice de style, écriture, savoir-faire, passion, il y a derrière « la musique baroque » de Georges Delerue une véritable signature…

Conception: Pascal Dupont et Olivier Verbrugghe
Rédaction: Olivier Verbrugghe
Analyse musicale: Quentin Billard
Traduction: Martin Davies
Photos Films © Paramount – Fox Films – Universal – Warner – BBC – INA – Gaumont

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