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A R C H I V E S

une vie, un travail, une passion...

The Horsemen

« Avec mon équipe, j’ai passé plusieurs mois en Afghanistan. A mesure que vous gagnez le cœur du pays, vous entrez dans une autre dimension. Il y règne encore un monde archaïque et féodal. Les cavaliers font la loi, respectent des traditions millénaires et se livrent à des buzkachis. Cela tient du tournoi médiéval, du rodéo, du polo. Mais un polo implacable, féroce et parfois sanglant. Dans l’arène, une cinquantaine de cavaliers s’affrontent : les chapandaz, les seigneurs, les samouraïs à cheval. L’enjeu est un veau fraîchement abattu, que l’on se dispute avec violence et furie, à coups de cravache. Le vainqueur doit déposer la dépouille du veau dans un cercle, au pied du président des jeux. A Kaboul, c’est le roi en personne qui assiste au buzkachi suprême. Mais, dans les provinces, un buzkachi entre amis peut durer une moitié de la nuit, voire une journée entière. » Voilà les mots avec lesquels le cinéaste américain John Frankenheimer décrit les fameuses joutes évoquées avec lyrisme sous la plume du célèbre aventurier et grand reporter Joseph Kessel dans son roman Les Cavaliers, publié en 1967. Son succès public, français et international, déclenche très vite l’intérêt des studios californiens, séduits par la dimension spectaculaire et humaine de cette vaste épopée en terres afghanes. C’est finalement la Columbia qui acquiert les droits d’adaptation, confiant le projet au binôme John Frankenheimer / Dalton Trumbo, déjà coupable d’une belle fable humaniste, L’Homme de Kiev. Si le profil du cinéaste ne manque pas d’ambiguïté (il oscille entre opus personnels et films de commande), Trumbo s’impose comme l’un des scénaristes les plus singuliers et corrosifs d’Hollywood, franchissant une étape supplémentaire avec son fracassant et unique film comme metteur en scène, Johnny s’en va-t-en guerre. Des six cent pages de Kessel, Frankenheimer isole le centre de gravité, le conflit avec le père, thème intemporel qu’il abordait déjà dans son premier long-métrage, Mon père, cet étranger, en 1957. « Je crois à la nécessité de se trouver soi-même, déclarait-il. Il faut apprendre à rompre des liens qui attachent à la famille, afin de mieux constituer sa propre identité. C’est le vrai sujet, grave et profond, des Cavaliers. »

Toursen, le père, c’est un vieux chapandaz madré et autoritaire (Jack Palance, vieilli de vingt ans pour l’occasion) défié par son fils Uraz (Omar Sharif, égyptien champion de bridge incarnant un Afghan, après avoir été un célèbre médecin russe). Handicapé par une fracture de la jambe, Uraz ne remportera pas le buzkachi et, s’échappant de l’hôpital, cherchera à regagner son pays par des sentiers de montagne, au gré d’un long voyage initiatique. Par souci de réalisme, Frankenheimer plante ses caméras sur les lieux mêmes de l’action, durant l’été 1969, en cherchant à contourner un écueil, celui de mettre en boîte un simple western pimenté de folklore afghan. « Malgré le titre, avouait-il, j’ai tout mis en œuvre pour éviter ce piège. Ca a déterminé la distribution, par exemple : il ne fallait pas engager des interprètes trop américains, du type Burt Lancaster dans le rôle du père. Idem pour le rythme, la musique, la lumière. Pour bien faire comprendre le conflit psychologique, il était nécessaire de capter la réalité d’un pays qui nous est étranger et dont la principale caractéristique saute aux yeux : il n’a pas bougé depuis des siècles. Le temps s’y est arrêté.» A l’arrivée, Frankenheimer tient le pari d’un grand écart a priori difficile : profiter d’un financement hollywoodien pour un film fuyant les normes hollywoodiennes. Ce dernier critère détermine d’ailleurs le choix des collaborateurs de création : celui du vétéran Claude Renoir à la photographie… et de Georges Delerue à la musique. Le cinéaste avait pourtant l’opportunité de prolonger son travail avec des compositeurs comme Jerry Goldsmith, Elmer Bernstein ou Maurice Jarre. Il n’en sera rien : Bernstein, célèbre pour ses partitions de westerns, serait un contresens ; Jarre, catalogué par certains tycoons comme « le spécialiste du désert », une option trop évidente. Ce sera donc Georges Delerue, grand ambassadeur d’une certaine idée de la «musique française», ce qui est aussi une manière supplémentaire de ramener Les Cavaliers, le film, vers la langue de Joseph Kessel. Pour le compositeur, la sollicitation de Frankenheimer tombe à un moment charnière de sa vie, d’homme et de créateur. Il a quarante-six ans et, depuis une décennie, son statut s’est considérablement consolidé avec le succès international de classiques en devenir de la Nouvelle Vague (Le Mépris, Jules et Jim), renforcé par plusieurs productions anglo-saxonnes : Un homme pour l’éternité, Chaque soir à neuf heures, Anne des mille jours et surtout Promenade avec l’amour et la mort, dont la somptueuse partition médiévale en trompe-l’œil vaudra à Delerue sa première nomination à l’Oscar. Le caractère prolifique du compositeur, son côté boulimique de la triple croche lui valent une image multicarte, contrairement à certains confrères de la même génération comme Pierre Jansen ou Antoine Duhamel, davantage restreints à un cinéma d’auteur ou de recherche. Delerue, lui, correspond à toutes les esthétiques, de Maurice Pialat à Gérard Oury, d’Alain Cavalier à Oliver Stone. Quand la Columbia le contacte pour Les Cavaliers, il sort juste de l’aventure de Love de Ken Russell, expérience radicale avec une partition au langage très culotté. Passer sans transition de Ken Russell à John Frankenheimer : tel est justement ce qui motive Delerue, lui permettant quasiment d’appréhender chaque nouveau projet comme la négation du précédent.

untitledPour Les Cavaliers, Georges Delerue lâche les chevaux de son inspiration, s’accordant aux différents degrés du sujet : l’épique et l’intime, la violence des buzkachis et la complexité d’un affrontement œdipien, la dimension du spectacle et celle de l’humain. Les Cavaliers s’ouvrent sur un générique grandiose avec des plans d’hélicoptère de vastes paysages de déserts, de fleuves, de montagnes, au sommet desquelles des joueurs de cornes traditionnelles se répondent en écho, leur timbre étant transposé aux cuivres dans la partition de Delerue. Passé cette majestueuse entrée en matière, ce qui frappe le plus, c’est l’économie avec laquelle le compositeur prend part à la narration, mesurant et raisonnant chacune de ses interventions. Par exemple, loin des canons hollywoodiens, il se refuse à accompagner deux morceaux de bravoure : la confrontation finale entre le père et son fils et, surtout, le buzkachi royal, respectueux de l’aspect documentaire voulu et revendiqué par Frankenheimer. En revanche, il écrit une vaste pièce pour orchestre, à la sauvagerie non contenue, pour l’évocation en flash-back d’un buzkachi historique, ayant scellé la fin de carrière de Toursen (Savage game for a king). Quand le personnage, âgé, revient sur les lieux de son échec, Delerue crée une passerelle entre passé et présent, en déclinant le même thème dans une brillante variation (An old man rides). En outre, plusieurs séquences de foires et marchés imposent des compositions ethniques apocryphes, inventées par un Delerue ravi de s’immerger dans un folklore à mi-chemin entre l’influence persane, indienne et d’Asie centrale. Mais il s’en échappe vite, notamment avec le thème du périple dans la montagne (Hills of Afghanistan), longue et entêtante plainte pour chœur d’hommes, avec réponse aux cordes dans l’aigu, à l’image d’une route sans fin, parsemée de péripéties. Un thème cousin, dans l’esprit et le traitement, de la Marche dans la montagne des Tribulations d’un Chinois en Chine, qui évoquait lui aussi une expédition sur des crêtes enneigées, où résonnaient les mêmes voix d’hommes aux timbres graves et ancestraux. Enfin, au détour du voyage, la partition des Cavaliers dévoile l’un des plus beaux thèmes d’amour jamais écrits par Delerue, Just as you are, I love you, associé à la prostituée Zereh, personnage aussi troublant qu’ambivalent. C’est une mélodie sensible et pleine de grâce, à trois temps, que Delerue habille avec l’une de ses formules fétiches, ébauchée dans Mona, l’étoile sans nom : une cithare soliste, en lévitation sur des nappes de cordes translucides. A quelques semaines d’intervalle, la Petite île des Deux anglaises et le continent et le Just as you are des Cavaliers portent à son zénith cette combinaison magique, pure invention du magicien Delerue… aidé par le phrasé délicat de Monique Rollin, sa cithariste d’élection. La poésie fragile de ce thème (sublime à la séparation d’Uraz et Zereh) contraste avec la fureur sauvage des folles cavalcades dans la poussière du soleil : ce type de vis-à-vis nourrit précisément une bande originale éclatante et insolite qui emmène les images afghanes de Frankenheimer vers des contrées encore plus vastes, celles de l’imaginaire.

Sorti aux Etats-Unis et en Europe à l’été 1971, près de deux ans après le début de son tournage, Les Cavaliers butent contre un accueil public mitigé. Paradoxalement, malgré la splendeur objective de la partition de Georges Delerue, la route du cinéaste ne croisera plus celle du compositeur. A l’avenir, Frankenheimer travaillera au coup par coup, nouant des collaborations intenses mais fugaces avec Michel Legrand, Henry Mancini ou John Williams. Quant à Delerue, il retrouvera indirectement Les Cavaliers avec Le Retour de l’étalon noir, en 1983, laissant à nouveau éclater son goût pour les grands espaces, les chevauchées fantastiques, le lyrisme à perte de vue… Pour cette première édition en version intégrale des Cavaliers, il fallait un complément de programme esthétiquement raccord : avec Colette Delerue, notre choix s’est porté sur les bandes originales inédites en disque, composées en 1978-79 pour deux documentaires télévisés de Jacques-Yves Cousteau, Le Nil et Le Testament de l’île de Pâques. Echaudé par un rendez-vous manqué avec François de Roubaix, dont il rejettera les fulgurances électroniques, le Commandant avouait sa préférence pour les partitions larges, en Cinémascope, de facture prudemment néo-classique. Une façon comme une autre d’agrandir le format de l’écran télé… Delerue se plie sagement à la commande, renouant avec l’inspiration de ses musiques pour sons et lumières, façon Karnak ou Monastir. Avec le même confort qu’une production cinéma, il enregistre à Abbey Road deux partitions-évocations de terres lointaines, de civilisations primitives, d’évasion. Enfant de Roubaix, Georges Delerue n’aurait jamais pu imaginer à quel point le cinéma le ferait voyager, à travers le temps et le globe : de Kaboul à Assouan, voici donc trois somptueuses bandes originales qui, à leur manière, résonnent comme un appel à l’aventure. Ecoutez-les les yeux fermés, elles vous emmèneront très loin, comme une confirmation du bel aphorisme concluant Le Roi de cœur de Philippe de Broca : «Les plus beaux voyages se font par la fenêtre.» Stéphane Lerouge

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Universal Music 532 292 8 – Écoutez le Cinéma !


The Horsemen (1971)

1. Main title 2:57
2. Just as you are, I love you (version 1) 2:38
3. Savage game for a king 4:07
4. At the bazaar 2:59
5. Frustration 2:41
6. Hills of Afghanistan 2:41
7. Just as you are, I love you (version 2) 2:31
8. The fair 1:57
9. It must come off, master 2:35
10. An old man rides 2:10
11. Just as you are, I love you (version 3) 1:36
12. Man of great riches 3:57
13. End title 2:30

Le Testament de l’île de Pâques / Blind Prophets of Easter Island (TV)

14. Statues 3:02
15. L’océan et l’infini 2:52
16. Valses de Pâques 2:08
17. Final 3:11

Le Nil / The Nile (TV)

18. Ouverture 4:51
19. Ramsès II 3:22
20. Oasis 3:35
21. Souvenirs antiques 3:07
22. Assouan 3:41
23. Gizeh 2:37
24. L’adieu au Nil 2:30

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