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A R C H I V E S

une vie, un travail, une passion...

L’aîné des Ferchaux

Il n’est pas évident d’évoquer en quelques lignes le travail de conception des albums de Georges Delerue. Ce travail, je le perçois d’abord comme une forme de fidélité à ma jeunesse. Nous avons tous, je pense, été frappés par des œuvres de Delerue à des moments différents de nos vies : pour ma part, Jacquou le croquant, L’homme qui revient de loin ou Les Tribulations d’un Chinois en Chine dans l’enfance, Le Roi de cœur au virage de l’adolescence, Police Python ou L’Important, c’est d’aimer à l’âge adulte… L’envie de faire exister ces partitions en disque est née de la frustration de ne pouvoir les écouter sans les images. Mais aussi du désir de les faire mieux connaître, de transmettre et partager un enthousiasme.

J’ai gardé un souvenir émerveillé d’une belle rencontre avec Delerue, pendant un après-midi complet, au Festival de Cannes 1990. J’avais vingt ans. A l’époque, la télévision faisait découvrir à de nouvelles générations de larges pans de sa filmographie et créait ainsi une demande sur sa musique… qui ne pouvait être satisfaite, les vinyls sortis autrefois étant introuvables ou n’ayant carrément jamais existés. Je le bombardais de questions : «Pourquoi ne sortez-vous pas une anthologie de Broca ? Et l’intégrale des Deux Anglaises ? Possédez-vous les masters complets des Rois maudits ?» Il souriait : «Oui, effectivement, il y aurait un gros travail à entreprendre… Mais je suis très occupé…» Comme beaucoup de créateurs, Delerue préférait rêver en avant, davantage motivé par l’écriture que par la gestion de son catalogue. Sa brutale disparition en 1992 a rendu impérative la nécessité de prendre une œuvre désormais orpheline à bras le corps. Avec trois missions : exhumer, restaurer et diffuser.

Nous avons entamé ce travail avec Colette Delerue, ensemble, d’abord sur un double CD Trente ans de musiques de films chez Emi-Odéon, puis dans le cadre de la collection Ecoutez le cinéma ! chez Universal Jazz France. A chaque nouvel album, c’est un parcours en montagnes russes, minutieux et passionnant, avec son lot de bonnes et mauvaises surprises… parcours qui commence avec l’état physique des bandes masters.

Nous passons des heures en studio spécialisé à dérusher, stocker, organiser ce matériel. Pour paraphraser Robert Mitchum évoquant sa collaboration avec David Lean, notre impression est parfois de construire le Taj Mahal avec des cure-dents. Nous avons tout vu, tout vécu, tout connu : bandes vrilleuses, incomplètes, froissées, humides, bandes qui encrassent les têtes de lecture (une seule solution : huit heures de cuisson au four à bandes !)… et, pire encore, bandes manquantes ! Delerue, pourtant conservateur, n’avait pas systématiquement gardé une copie quart-de-pouce de tous ses enregistrements.

Là, il faut suivre un long Golgotha pour tenter de dégoter une sauvegarde de la musique auprès du producteur du film, d’une hypothétique maison de disque… ou même parfois du metteur en scène : Jacques Deray, à notre grande surprise, avait pieusement archivé un master intégral du Rififi à Tokyo. Dans la pénombre du studio, au-delà de la musique, les bandes délivrent souvent de troublants éclats de vie, d’une saisissante vérité : Delerue entre deux prises, dialoguant avec l’ingénieur du son, indiquant des nuances de jeu aux musiciens, bataillant pour un quart d’heure supplémentaire… Comme des instantanés sonores d’un créateur en prise directe avec son art (en l’occurrence l’exécution de sa musique) qui en disent plus long que bien des exégèses.

Il serait possible de tartiner sur les autres étapes (le juridique, le graphisme) mais c’est surtout la rencontre avec les cinéastes de Delerue qui m’a frappée. Comment oublier lesexco mots de Colpi, Verneuil, Schoendoerffer, Blier, Yannick Bellon, Oury, Pinoteau, Corneau ? Comment relater la longue traque qu’il a fallu mener pour débusquer Alain Cavalier et le convaincre de se souvenir ? Comment effacer une image, déchirante, celle de Philippe de Broca incapable de retenir ses larmes en réécoutant la valse du Diable par la queue ? Avec un seul commentaire : «C’est tellement beau, je voudrais qu’on la joue à ma messe d’enterrement ! » Sa volonté fut respectée…

Tous ces cinéastes, par leur témoignage, viennent compléter le portrait en kaléidoscope de Georges Delerue. Ils se rejoignent sur certains points, divergent sur autres. Au gré des parutions, la mosaïque se complète, s’affine, mettant en lumière différents versants de l’écriture à la Delerue, du néo-baroque aux valses des faubourgs, du jazz ellingtonien au dodécaphonisme… C’est un artiste et un homme, avec sa part de clarté et d’obscurité, de certitudes et de contradictions, qui se dessine d’un album à l’autre, chacun étant l’addition d’infinis détails tous décisifs. Mais cette longue quête ne fait que commencer.

L’œuvre de Delerue est tellement vaste, recoupe tellement d’expressions, de langages, de visages… Tout reste encore à faire. Ces temps-ci, on commence à rêver d’un coffret quatre CDs… D’avance, merci Georges Delerue pour les moments d’exaltation que ce projet nous réserve. Publier vos partitions, c’est lutter contre le temps qui rétrécit, contre l’oubli, contre la mémoire qui s’érode. C’est surtout une manière acharnée de continuer à parler de vous au futur. – Stéphane Lerouge


Universal Music 372 086 3 – Écoutez le Cinéma !


L’Aîné des Ferchaux by Georges Delerue (1963)

1. Les Appalaches 3:37
2. Sur le ring (générique) 2:02
3. Maudet et Ferchaux 2:09
4. Vers le sud 1:35
5. A la Dimitri 2:22
6. Je m’appelle Michel Maudet 2:06
7. Manhattan, deux hommes 2:15
8. La route 2:31
9. Slow du désespoir 3:00
10. Lina 2:27
11. L’Affrontement 2:32
12. Un bar à la Nouvelle-Orléans 2:44
13. Poursuite américaine 4:00
14. Fin de route / Arrivée à la Nouvelle-Orléans 2:30

Un Flic by Michel Colombier (1972)

15. C’Est ainsi que les choses arrivent 4:04
16. Pré hold-up 3:09
17. Chaussée d’Antin 2:23
18. Quatre hommes en voiture 2:53
19. Pour un autre terrain vague 3:38
20. Night-club, trois heures du matin 3:38
21. Un monsieur distingué 3:21
22. Chez Luce 2:18
23. Edouard au piano 2:13
24. L’Ambiguité et la dérision 3:43

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