Cette œuvre est une commande des Concerts Pasdeloup de 1975, année Beethoven, durant laquelle il y eut beaucoup de concerts célébrant le grand musicien allemand. Pour lui rendre hommage, Georges Delerue, se refusant à écrire « à la manière de… » est parti du nom «Ludwig Van Beethoven».
1975, le temps des Variations…
Utilisant l’alphabet allemand, le musicien a ainsi fait une association entre les lettres et les notes de musique sous forme de variations très libres. Des compositeurs ont utilisé ce même principe par le passé, notamment avec B-A-C-H, nom que l’on retrouve fréquemment dans certaines œuvres de Schoenberg ou Webern par exemple. Georges Delerue explique les origines de son titre qu’il jugera un peu hermétique…
« J’ai toujours éprouvé beaucoup de réticences à faire l’analyse de mes compositions car entre ce que l’on décide d’écrire et ce que l’on écrit, il existe toujours un moment privilégié où l’on n’est plus tellement soi-même et où la pensée part dans une direction un peu différente et c’est là où tout se joue et c’est là où il faut à la fois se laisser entraîner mais savoir contrôler.
Je crois que pour Beethoven c’est une évidence, sa liberté dans la forme et même dans le langage ne l’a pas empêché de contrôler sa pensée créatrice avec beaucoup de rigueur.
A Vienne, un de ses professeurs, Albrechtsberger qui fut organiste de la cour et maître de chapelle de la Cathédrale, qualifie son élève « d’exalté libre penseur musical ». J’ai beaucoup aimé cette façon de juger Beethoven qui fut, on le sait, un grand défenseur de la liberté et tout naturellement. j’ai écrit « ces variations Libres ».
Au début, l’accord plaqué de tout l’orchestre fait entendre toutes les notes composant le nom de Ludwig Van Beethoven ; l’introduction est terminée. vient alors un épisode très marcato où l’orchestre martèle le nom de Ludwig van Beethoven. Les cordes continuent dans un même rythme puis les bois développent une des cellules du thème ; des alternances bois/cordes apparaissent (alternances que l’on retrouve souvent dans l’œuvre de Beethoven. Ensuite « Ludwig van » apparaît en augmentation aux contrebasses tandis que les autres cordes en pizzicati font entendre un développement mélodique sur le nom de Beethoven, toujours dans un tempo allegro, suivi d’un nouveau mariage bois/cordes pizzicati.
Une autre variation intervient alors, les cordes exposant en une touche très large le nom de Beethoven puis la harpe, le celesta, le vibraphone se font entendre ; c’est ensuite au tour des cuivres d’apparaître violement et de former un cluster qui permet aux bois et aux cordes de clamer véhémentement les notes du thème puis tout se calme et on arrive à une sorte de méditation calme, tranquille mais de ce calme qui fait craindre les orages, de ce calme apparent mais nullement résigné que l’on peut découvrir sur le masque mortuaire de Ludwig van Beethoven. » (Notes personnelles de Georges Delerue)
Georges Delerue nous dévoile ici une pièce oscillant entre l’atonal et le polytonal, utilisant des harmonies très dissonantes et résolument modernes.
Abstraction, évolution et progression…
Le premier mouvement débute avec une brève introduction aux bois, sur des notes très furtives et presque mystérieuses. Sous les notes des bois, un thème initial aux cordes est alors développé en notes longues. D’emblée, une certaine fébrilité désirée s’instaure dans le jeu des instruments. Les harmonies demeurent dissonantes de bout en bout, avec une écriture contrapunctique très élaborée telles que les entrées en canon des bois au début du morceau.
Si le thème se repère facilement dès les premières mesures, la suite devient nettement plus complexe, Delerue brouillant les pistes par une harmonisation polytonale et des orchestrations très denses, la mélodie étant très souvent confiée aux cordes en notes longues par-dessus lesquelles se greffent un flux de notes plus aigues et brèves aux vents. Le compositeur opte ici pour une structure musicale très carrée et organisée.
Parmi les effets traditionnels de variation utilisés par le musicien, on retrouve les changements d’instruments, de nuances ou les modifications de rythmes. A noter ici quelques exemples de variations plus classiques entendus dans l’œuvre : une reprise du thème en notes rapides aux bois après une première exposition en notes longues, ou tout simplement une superposition du thème en notes longues/notes brèves.
Après ces premiers développements agités, le morceau se calme temporairement et les instruments semblent alors s’organiser d’une façon différente : les bois continuent de virevolter en notes brèves et furtives dans l’aigu tandis que le compositeur utilise alors une série de pizzicati très rapides avant de reprendre la mélodie aux cordes à laquelle s’ajoutent en contrepoint des notes de harpe et de vibraphone. Les cuivres deviennent alors plus présents dans la dernière partie du morceau, avec des clusters, des harmonies à base de quintes/quartes parallèles et des dissonances brumeuses mais jamais chaotiques. Delerue conserve derrière cette agressivité musicale un certain lyrisme dans l’utilisation des cordes, n’hésitant pas à leur confier la mélodie.
Il règne ainsi tout au long de ces Variations une certaine ambigüité. On ne sait pas si la musique se veut réellement agressive et exaspérée avec ses sursauts musicaux soudains ou au contraire lyrique et plus dramatique. Une chose est sûre, qu’il choisisse d’utiliser un cadre tonal ou atonal, Georges Delerue conserve un lyrisme sous-jacent dans sa musique, un lyrisme qui est profondément lui-même.
Retrospective : Pascal Dupont et Colette Delerue
Analyse Musicale : Qentin Billard
Photographies © Site Officiel / Jeannot Boever
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