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Betrand Blier raconte : Calmos

Stéphane Grappelli, le Jazz et Les Valseuses… « Je suis sorti ravi de cette aventure musicale au départ hasardeuse, un poil foutraque mais sympathique. Ravi mais avec une conviction : “ Si jamais je dois réutiliser un soliste de jazz, je le lâcherai cette fois sur une architecture précise… ” Ce qui est arrivé pile sur le film d’après, Calmos, en 1975, sur lequel j’ai musicalement longtemps pataugé. Un jour, pendant l’écriture, j’ai pensé à Beethoven. Au point de me dire : « Calmos, c’est la Symphonie Pastorale : des hommes qui fuient les femmes pour se retrouver entre eux, peinards, en pleine cambrousse.” J’en ai parlé à Georges Delerue, qui avait composé la musique de mon premier long-métrage, Hitler, Connais Pas !, douze ans plus tôt. Il m’a répondu : “ On pourrait partir de Beethoven en alourdissant l’orchestration, en ajoutant des chœurs. Pour boursoufler le film, pour appuyer le côté farce…” Quelques semaines après, une nouvelle idée m’est venue à l’esprit, j’ai oublié comment : Slam Stewart, basse chantante de légende. Une voix masculine grave et râcleuse pour donner une identité collective à mes fuyards. Trait d’union avec Les Valseuses, il existait un album Grappelli / Stewart sur le label Black and Blue. Aussi sec, j’ai fait alors écouter Slam Stewart à Delerue : “Ah oui, on est loin de Beethoven ! Mais c’est une idée insolite… Il faut que je lui trouve des thèmes sur lesquels il pourra s’exprimer.” On rejoint ce que je disais à l’instant : faire improviser un grand soliste mais dans un cadre bien défini, sur une structure établie par un compositeur.

On a contacté la maison de disque de Stewart. Il a donné son accord. L’affaire s’est faite en un clin d’œil. Et, pour moi, l’enregistrement de Calmos reste un très grand souvenir. Slam est venu spécialement des Etats-Unis. On l’a vu débarquer à Davout, ce grand noir, plutôt timide, qui m’a confié : “Vous savez, je ne lis pas la musique. Je ne sais pas si je vais y arriver !” Pour la première fois de sa vie, il participait à l’enregistrement d’une musique de film. Et il avait le trac ! Il y a eu alors un moment bouleversant. La séance allait démarrer. Les musiciens français rassemblés autour de Slam (Vander, Humair, le guitariste José Souc) étaient impressionnés. Vander, je crois, a proposé : “Avant d’enregistrer, il faut qu’on joue ensemble, n’importe quoi !” Ils se sont lancés dans un vieux standard, Slam avec eux. C’était une façon de faire connaissance. Ce bœuf a été magique. Comme si, des Etats-Unis, Stewart avait apporté le jazz dans ses bagages. José Souc pleurait d’émotion.

L’enregistrement a eu lieu en deux étapes. D’abord en combo avec Slam et ses partenaires. Georges Delerue les dirigeait, les canalisait, leur expliquait le nombre de mesures d’improvisation etc. Dans un second temps, Georges a enregistré les cordes. Puis, par la magie du mixage, on a marié nos jazzmen à l’orchestre. Et on a fait écouter le résultat, au casque, à Slam Stewart. Il n’en croyait pas ses oreilles : “C’est moi, ça ?” Les nappes de cordes de Delerue donnait à la basse chantante un relief, une profondeur étonnante. J’aime beaucoup la grâce nonchalante du thème principal, Les Joies du Maquis. Car Georges avait parfaitement pigé le message de Calmos : il y a dans sa musique une jubilation à foutre le camp à la campagne, à se barrer au vert, le plus loin possible.

Georges Delerue était un homme charmant, très humble, avec un sens étonnant de l’image, le plus grand professionnel de musique de film que j’aie rencontré. Il possédait une vraie vision d’ensemble sur le film, sur la musique qu’il devait écrire. Ses minutages étaient toujours établis avec une extrême précision. En plus, il ne se laissait pas trop emmerder par le metteur en scène. Il savait être attentif à son propos, il prenait note de la commande. Et après, quoiqu’il arrive, il faisait malgré tout du Delerue. C’est la marque d’un grand compositeur : savoir à la fois donner satisfaction et résister.

De nos trois collaborations, Calmos demeure ma préférée. Sur cette musique, il s’est vraiment passé quelque chose, une rencontre. Une rencontre jubilatoire, a priori incongrue entre un géant américain du jazz et un compositeur très français, de culture classique. J’ai continué avec Delerue sur Préparez vos Mouchoirs, partition moins intéressante, par ma faute : je lui ai stupidement demandé de faire aussi bien que Mozart. Or, si on travaille avec Georges Delerue, on doit le laisser être Delerue. Et si on veut du Mozart, autant piocher directement dans Mozart. Du coup, sur les Mouchoirs, Delerue et moi n’avons pas retrouvé l’état de grâce de Calmos. Ce qui me conforte dans ma théorie : de film en film, il faut toujours changer de compositeur, surtout si la dernière expérience en date a été enthousiasmante. Car la suivante ne pourra jamais l’être autant. »

Propos recueillis par Stéphane Lerouge

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