Avec ‘Joe vs. The Volcano’ (Joe contre le Volcan), comédie romantique un peu bizarre de John Patrick Shanley, Tom Hanks et Meg Ryan formaient leur premier duo romantique bien avant ‘Sleepless In Seattle’ ou ‘You’ve Got a Mail’. Meg Ryan venait de triompher dans une autre comédie romantique un an avant ‘Joe vs. The Volcano’, ‘When Harry Met Sally’ (1989) où elle vivait une histoire d’amour pleine de tendresse et d’humour avec Billy Crystal (tout le monde se souvient de la fameuse scène anthologique où Meg Ryan simule un orgasme en plein milieu d’un café). Avec ‘Joe vs. The Volcano’ (où elle interprète 3 rôles différents dans le film, une idée toute aussi étrange que le film en lui même, sans parler de son scénario abracadabrantesque), c’est son troisième personnage dans le film, Patricia qui tombera amoureuse de Joe Banks (Hanks), un hypocondriaque à qui un docteur a annoncé qu’il ne lui restait plus que quelques mois à vivre et qui, après avoir été engagé par un milliardaire excentrique (Lloyd Bridges) un peu étrange, part pour une île tropicale afin de se sacrifier en se jetant dans un volcan pour apaiser la colère de ce dernier suivant le rite ancestral du peuple Waponi Woo qui vit sur l’île. Le scénario est vraiment totalement saugrenu mais le tout est traité avec un certain humour et un message qui critique ouvertement la monotonie de la vie dans des bureaux (en tout cas au début du film). Joe est un ancien pompier qui après s’être retiré de sa profession pour cause de problèmes de santé s’est retrouvé à travailler comme un fou dans un bureau pourri d’une entreprise qui exploite ses ouvriers dans des conditions désastreuses. Fatigué de cette vie monotone et affreuse (le début du film avec l’arrivée des ouvriers qui marchent droit devant eux comme des robots lobotomisés rend clairement hommage au ‘Metropolis’ de Fritz Lang qui pastichait déjà la société industrielle et son côté déshumanisant), et après avoir appris par un docteur qu’il était atteint d’une maladie incurable, Joe va se révolter contre son patron tyrannique et va décide de démissionner. A partir de ce jour là, il ne sera plus le même qu’avant et ne se laissera plus marcher sur les pieds. Hypocondriaque, il se sent nettement mieux après se brusque changement de personnalité. Tout change pour lui après que le milliardaire Samuel Harvey Graynamore lui propose un contrat étrange: mener une vie de rêver pendant quelques temps en dépensant tout l’argent qu’il souhaite et partir sur une île où il devra se sacrifier pour accomplir le rituel ancestral des Waponi Woo (tout cela résumé en une seule phrase: ‘vivre comme un roi et mourir comme un homme’), un peuple d’indigènes qui boivent régulièrement du soda à l’orange (critique ici de « l’invasion » de la culture américaine dans les autres pays). Mais c’est sa rencontre avec Patricia, la fille du milliardaire qui va réellement tout changer pour lui en marquant un nouveau départ dans sa vie, et c’est l’amour pour cette femme qui va le sauver à tout jamais de la menace du volcan. (ce qui nous amène finalement à un happy-end bien gentillet comme tout) L’idée du film est assez confuse: on trouve un mélange de différentes choses ce qui rend ce film assez difficile à classer au départ: un peu satyre du monde du travail au début du film, en passant par des trucs absurdes au possible pour finir sur une histoire d’amour bien romantique. Bref, on ne sait pas trop où le réalisateur veut en venir même si au bout de la dernière demie heure du film il prend clairement la direction de la comédie romantique. A la suite de ce film, Tom Hanks et Meg Ryan reformeront leur duo sur ‘Sleepless In Seattle’ de Nora Ephron.
C’est le regretté Georges Delerue qui composa la musique de cette comédie romantique étrange. Depuis le milieu des années 80, Delerue était parti aux Etats-Unis pour connaître une carrière intéressante. ‘Joe versus The Volcano’ reste probablement l’une des plus belles musiques que le compositeur ait écrit pour une comédie romantique de ce genre. Sa petite partition orchestrale repose autour de deux thèmes principaux qui resteront probablement vite gravés en mémoire même après la première écoute de la musique dans le film: le thème de Joe, petite valse innocente avec une sonorité de boîte à musique enfantine, et un magnifique Love Theme illustrant l’amour naissant entre Joe et Patricia (même si dans un premier temps le thème apparaîtra lors de sa petite soirée romantique avec DeDe). Après une introduction très brève et amusante du petit thème de boîte à musique de Joe dans ‘Once Upon A Time…’ (qui ouvre le film de manière fort ironique: ‘il était une fois un gus nommé Joe qui faisait un métier pourri’) petit thème de valse/berceuse qui est d’ailleurs joué par sa lampe de chevet qu’il installe au début du film dans son bureau pourri (et dont l’utilisation dans cette introduction brève semble apporter une petite touche d’humour un brin moqueuse au personnage principal de ce film), Delerue nous plonge dans le drame poignant d’un homme qui apprend qu’il n’a plus que quelques mois à vivre avec ‘Brain Cloud’, pièce de cordes dramatique et résigné qui met magnifiquement en valeur une très belle écriture lyrique des cordes façon ‘Platoon’. Quand à ‘Dinner With Dee Dee’, c’est le morceau qui introduit le style plus romantique du score avec des orchestrations pleine de fraîcheur et typique du compositeur (avec une guitare très romantique en prime), et ce pour le passage de la petite soirée romantique avec DeDe, suivi du magnifique ‘Love Theme’ exposé dans toute sa splendeur aux cordes avec une harpe. Impossible de ne pas vibrer en entendant ce thème touché par la grâce, le genre de mélodie qui nous incite à rêver, à nous évader dans les songes. Delerue éclaire cette scène en offrant une ‘lumière’ assez onirique à ce petit passage romantique où Joe est devenu un autre homme et où il le prouve cette soirée là à sa compagne DeDe. Mais très vite et après le lyrisme de ‘Dinner With Dee Dee’ et du ‘Love Theme’, Delerue retrouve une ambiance plus dramatique avec ‘Joe Alone’, morceau assez bref évoquant la solitude de Joe avant que le milliardaire Graynamore vienne lui rendre visite. Il ne faut surtout pas oublier de mentionner le fait que certains passages du score ont été remplacés par des chansons dans le film, le réalisateur ayant choisi d’utiliser beaucoup de chansons dans ce film, et ce dès le générique de début.
Pour le petit voyage de Joe à New York, Delerue nous offre quelques moments plus paisibles, plus heureux, sans oublier une reprise par un choeur féminin du thème de Joe qui donne un côté étrangement religieux à ce morceau dans la scène où le héros se voit offrir une grande malle de voyage luxueuse (comme si Joe devenait soudainement une sorte de roi respecté par tout le monde – une manière ironique d’illustrer ce ‘miracle’ dans le changement de la vie de Joe). Il ne faut surtout pas oublier de noter le petit thème principal, joli thème que l’on entend dans la première partie du film (très belle version paisible de ce thème aux cordes dans ‘I’ll Do It’) où Joe prépare son voyage vers l’île tropicale et que l’on retrouve magnifiquement développé dans ‘To The Ship’ pour la séquence du départ en bateau vers l’île. Introduit par des flûtes ondulantes avec cordes paisibles et une harpe, le morceau fait intervenir un bref passage très pastoral de hautbois rappelant brièvement la mélodie du ‘Love Theme’ avant que les cordes ne s’emparent du thème principal exposé ici de manière fort radieuse, comme pour évoquer l’exaltation du départ vers une grande aventure. Il ne faut pas oublier aussi une reprise au saxophone très romantique du thème principal et du Love Theme (souvent associés ensemble dans certains morceaux) dans ‘Shopping Spree’, version soutenu par un rythme pop et un style un peu ringard mais néanmoins assez joli (le morceau est absent du film lui aussi). Quand à ‘Fishing’ (séquence de pêche sur le bateau), il nous permet d’entendre un bref passage de rock léger même si le morceau a lui aussi été remplacé dans le film par une chanson.
Avec ‘The Storm & The Rescue’, Delerue nous introduit un côté plus épique/aventure avec un morceau qui commence de manière menaçante à l’orchestre alors que Patricia, Joe et les membres de l’équipage du bateau doivent affronter un typhon violent. Delerue met pleinement en avant ici les cuivres qui reprennent le thème principal sous une version minorisée et plus sombre, voire dramatique. ‘The Storm & The Rescue’ possède un côté orchestral un peu plus épique (surtout avec le pupitre des cuivres bien mis en valeur ici) pour évoquer la violence de cette tempête et ce même si le Love Theme réapparaît au milieu du morceau pour la première scène de baiser entre Joe et Patricia, c’est l’action qui reprend très vite le dessus dans ce morceau très Wagnérien d’esprit, dans le style musical du 19ème siècle (on pense un peu à l’Ouverture du ‘Vaisseau Fantôme’ sur une séquence de tempête quasi similaire ou à certains poèmes symphoniques de Liszt dans le même esprit). Après ce bref passage aventure/action (qui est un peu à part dans le reste du score), on retrouve un autre passage romantique où Delerue fait un bref rappel du thème de Joe dans la très belle séquence où il regarde la lune se lever sur la mer à l’horizon en remerciant Dieu de l’avoir épargné. (On comprend mieux alors pourquoi le compositeur a choisi un thème aussi joli pour Joe: son thème évoque très clairement le côté quasi féerique de cette jolie fable sentimentale, surtout à la fin du film)
Petite touche d’humour dans la séquence avec les indigènes de Waponi Woo où Delerue a adapté pour les besoins du film les chants traditionnels de ‘Hava Nagila’ et du fameux ‘When Johnny Comes Marching Home’ (utilisé par Michael Kamen dans ‘Die Hard With A Vengeance’ et par John Powell et Harry Gregson-Williams dans ‘Antz’ entre autre). Ce sont les indigènes qui chantent ces chants lors de la procession vers le volcan ou lors de l’accueil qu’ils réservent à Joe et Patricia pour leur arrivée sur l’île (qui se fait entendre avec un appel de trompette d’esprit péplum) et il est assez amusant de noter qu’ils chantent un chant typiquement américain (‘When Johnny Comes Marching Home’) alors que ce ne sont que des indigènes (qui adorent boire des sodas à l’orange, autre touche d’humour du film, une pointe d’ironie de la part du réalisateur?). Avec ‘I’ve Got To Go’, Delerue fait brièvement référence à la célèbre ‘Marche Nuptiale’ de Mendelssohn alors que Joe et Patricia se font marier très rapidement par le chef de la tribu avant que ces derniers ne sautent tout les deux dans le volcan. Mais le film est une petite fable romantique qui finit bien donc le scénariste du film s’est arrangé pour conclure cette histoire de manière heureuse en trouvant un ‘Deus Ex Machina’ totalement invraisemblable. (comme dans les tragédies au théâtre avec l’intervention des Dieux venus apporter une conclusion heureuse dans une histoire dramatique, même si cette conclusion est souvent peu vraisemblable, ce qui est tout à fait le cas ici dans ce film) C’est finalement la petite berceuse de Joe qui conclut le film de manière fort paisible avec le sempiternel ‘et ils vécurent heureux’ et bla-bla-bla. A noter que pour le End Credits, Delerue a repris le Love Theme sous une forme vocale avec un choeur de femme pour la chanson ‘Marooned Without You’ avec un orchestre plus romantique que jamais dans ce thème magnifique et inoubliable. ‘Marooned Without You’ est en fait utilisé dans le film pour une scène où Joe s’assoit sur une plage toute une nuit, seul, en attendant le lever du jour alors qu’il va devoir partir en bateau vers l’île où l’attend son destin, une très belle reprise vocale de ce thème qui nous montre vraiment à quel point le compositeur s’est vraiment attaché à ce magnifique thème qui réussit à lui seul à capter tout le romantisme et le lyrisme du film et de la musique.
‘Joe versus The Volcano’ reste donc une référence dans la carrière américaine du compositeur. Grâce à la récente reédition en CD Club par Varèse Sarabande, les béophiles ont enfin l’occasion de redécouvrir ce petit chef d’oeuvre qui, dix ans plus tard, continue toujours de nous émouvoir. Partition orchestrale pleine de fraîcheur, de romantisme et de tendresse (plus quelques petites touches d’humour), ‘Joe versus The Volcano’ reste une BO incontournable du compositeur, une musique d’une grande beauté de la part d’un compositeur au sommet de son art à cette époque. A découvrir d’urgence si ce n’est pas déjà fait!
Quentin Billard
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