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A R C H I V E S

une vie, un travail, une passion...

Les Deux Anglaises et le Continent

Au début du XXe siècle, Anne Brown, une jeune anglaise en visite à Paris, fait la connaissance de Claude Roc. Elle l’invite au pays de Galles pour lui présenter sa sœur Muriel à qui elle le destine… Avec l’assentiment de sa mère, Claude séjourne longuement en Angleterre, auprès d’Anne, de Muriel et de leur mère, Madame Brown.

Datant de 1971, mais loin du renouveau moral de mai 68, Les deux anglaises et le continent fait le récit d’une éducation sentimentale asservie par une discipline austère des sentiments. Discipline par l’autorité des mères, par l’incarnation physique toujours douloureuse et entravée, par infantilisme, par manque d’audace… Jusqu’à la stagnation, l’inertie, l’inanition. Ritournelle insalubre d’un désir immature et replié sur lui-même.

Accompagnant cette quête d’amour fébrile et douloureuse, la narration musicale de Georges Delerue se déploie en trois leitmotive principaux : la promesse d’amour, Anne, Muriel, et un secondaire : le bonheur insouciant.

La promesse d’amour

Le thème prend naissance délicatement durant le générique d’ouverture. Mais son énonciation toute en sobriété par une flûte basse, annonce déjà la retenue et la passivité qui causeront son effondrement. Le thème resurgit aux cordes, dans une facture plus diligente, lorsque Claude, se rapprochant de Muriel, voit naître l’espoir d’un amour possible. La même évocation réapparait lorsque Muriel confirme cet espoir. Mais les mères imposent aux jeunes gens une séparation d’un an. La désolation envahit Muriel et Claude, tandis que la mélodie d’amour, portée par le souffle mélancolique de la flûte, se déploie telle une caresse apaisante.

Il faudra attendre l’épilogue pour que le leitmotiv réapparaisse, et clôture le film. Quinze années ont passé. Le souvenir de Muriel envahit Claude, solitaire. Son reflet dans la vitre d’un taxi qu’il ne prendra pas, lui renvoie l’image d’un homme vieilli, harassé. Drapée d’une résonance fantômatique, la flûte délivre, dans un ultime filet mélodique au bord du tarissement, le thème de l’amour. Son souvenir est exsangue, et sa promesse ne s’est jamais accomplie…

Anne

Porté par une ligne mélodique tour à tour allègre et sentimentale, composé en 6/8 — dans cette métrique ternaire source de mouvement et de liberté si chère à Delerue — le thème d’Anne dessine la figure d’un désir enjoué, affirmé et attachant. Il accompagne le personnage dans ses audaces, ses envies de romance ou d’émancipation.

Le toucher délicat du piano chante sa mélodie au début du récit lorsqu’Anne se dévoile à Claude, puis plus tard, lorsque de retour à Paris, elle charme le jeune homme. Au timbre chatoyant du hautbois reviendra naturellement l’évocation de leur amour consommé mais libre. La flûte dira la grâce de cœur dont Anne fait preuve envers Claude. Et la cithare égrènera lassivement le motif pour évoquer le ravissement (sulfureux ?) de l’infidélité.

Au gré des moments et des instruments, le thème d’Anne se balade…

Muriel

Cantilène élégiaque et gracieuse, le thème de Muriel est une arche mélodique d’essence quasi statique. Son tempo lent, sa mesure suspensive et une attraction qui ramène inexorablement la mélodie à sa note source, dessinent une affection solennelle et introvertie. Son balancement, sensuel et monotone, évoque une marée de morte-eau. A ce flux languissant s’oppose une variation antagoniste du thème, la passion de Muriel, ressac au lyrisme tourmenté et insaisissable.

Ces vagues musicales, mélancoliques ou violentes, reflètent l’image d’une Muriel fascinante, envoûtante, mais que son désir d’absolu voue à un destin solitaire et puritain.

Le bonheur insouciant

Le thème n’apparaît que trois fois dans le film. A l’occasion d’une escapade à vélo d’abord, qui emmène le trio à flanc de falaise, pour une discussion familière sur le vice et la vertu. Lors de la balade de retour, durant laquelle Claude se délecte de voir Muriel sans être vu d’elle. Puis plus tard, lorsqu’un long travelling à fleur d’eau nous montre Claude et Anne sur l’île où ils se donneront l’un à l’autre. Filament léger d’une cithare posée sur un voile satiné de cordes orné d’une dentelle de harpe, cette ode éphémère au bonheur tisse une émotion tout à la fois galante, insouciante… et bien fragile.

La narration musicale

En quatre leitmotive, avec une grande économie de moyens, Georges Delerue restitue la complexité d’un désir amoureux assujetti aux desseins conjugés du cœur, du corps et de l’esprit. L’instrumentation aux couleurs automnales, la tempérance de la pulsation et la délicatesse mélodique servent une langue musicale expressive et introspective.

Epilogue

Claude disparait derrière les lourdes portes du Musée Rodin. Et l’on prend conscience rétrospectivement qu’aucune image musicale ne lui est associée durant tout le récit. Mais, entre les femmes de sa vie, Claude aura-t-il jamais existé par lui-même ?

Remy Grauwin

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